Retour 21 août 2023

L'Histoire d'un nouveau départ

Arber Hajdari est un réalisateur diplômé de l’Université de Pristina. Il a collaboré au Kosovo à de nombreux projets de cinéma (courts et longs métrages, documentaires, publicités, vidéo clips) en tant que scénariste, monteur, ingénieur du son et réalisateur. Pour Résidences croisées, il s’est lancé dans un projet ambitieux de moyen métrage intitulé Nouveau départ, qu’il réalise, sonorise et monte entièrement.

Quel est le sujet de votre film?
Il s’agit de raconter le parcours de vie et d’intégration d’un réfugié politique qui a dû fuir son pays, l’Irak, pour sauver sa vie. Davantage qu’un documentaire, c’est un récit qui se développe au cours des conversations qu’il a avec son assistant social, issu lui-même de la migration.

Comment vous est venu ce thème ?
Le projet a évolué presque tout naturellement. Au départ, mon propos était de refléter les difficultés d’intégration de plusieurs personnes que l’on découvrait au travers des entretiens avec leur assistant social ; ce dernier aurait été le personnage principal et le lien entre toutes ces rencontres. Et puis, au cours des démarches, j’ai rencontré Sahil*, son histoire m’a profondément ému. Ce qu’il raconte est bouleversant de sincérité et fait écho en moi et, comme je l’espère, en chacune des personnes qui le verront.

C’est une histoire qui ressemble à la vôtre ?
Oui et non, moi, je suis venu en Suisse par amour, lui, pour sauver sa vie. Je n’ai pas connu la torture ou les souffrances qu’il a dû endurer. Mais je me retrouve dans tout ce qu’il peut dire sur la manière dont il a été accueilli en Suisse, ses difficultés à trouver sa place, la tristesse et la mélancolie qu’il ressent par rapport à la vie qu’il a dû laisser derrière lui, son sentiment de solitude et la force qu’il faut puiser en soi pour reconstruire une nouvelle vie ici. Nos vécus ici en Suisse, à Genève et à l’Hospice général sont très similaires.

Un « Nouveau départ » donc ?
Oui, c’est un titre qui s’est imposé à moi dès la première scène du film : on y voit son assistant social, joué par l’excellent comédien Dardan Shabani, lui annoncer qu’il a enfin obtenu son permis de réfugié. C’est pour Sahil la reconnaissance de son statut, de sa valeur, un élément solide sur lequel il peut construire un avenir. J’ai d’ailleurs choisi Dardan Shabani pour jouer le rôle de l’assistant social afin de donner l’image d’une intégration réussie dans la société genevoise.

Que vous a apporté ce projet de Résidences croisées ?
Cela a été l’occasion de nombreuses rencontres humainement très fortes : avec Sahil bien sûr, mais aussi d’autres personnes aidées qui m’ont ouvert à leurs réalités et leurs histoires Cela a apporté une dimension plus profonde et significative à mon travail. Les collaborateurs et collaboratrices de l’Hospice général m’ont conseillé dans mes démarches et apporté un soutien bienveillant et surtout j’ai pu côtoyer des artistes talentueux ; cela a été une expérience privilégiée qui m’a permis d’enrichir ma pratique et mes horizons artistiques, de partager mes connaissances et de développer mes compétences. Les discussions et les échanges ont nourri mes idées, amené de nouvelles perspectives et des possibilités de collaborations futures. Tout cela a ravivé ma passion de créer. Rencontrer des artistes partageant des expériences similaires m’a permis de me sentir compris et soutenu, et d’établir des liens professionnels et amicaux durables.

Cela répond à un besoin de reconnaissance ?
Oui, c’est infiniment précieux d’être reconnu dans ce qu’on fait. Ce projet pour Résidences Croisées m’a ouvert les portes de professionnels qui m’ont donné le sentiment d’être pris au sérieux dans mon travail artistique. Car ayant débarqué ici sans savoir un mot de français [ndlr : Arber Hajdari suit des cours assidument aujourd’hui], je commençais à douter de ma valeur. Grâce à ce projet, les artistes que j’ai rencontrés m’ont montré que je n’étais pas tout seul et m’ont redonné confiance en moi et en mon travail. Aujourd’hui, je me sens reconnu et valorisé en tant qu’artiste.

En deux mots, quel message voulez-vous délivrer avec ce film ?
C’est que tout peut arriver ! Toute votre vie peut basculer en un jour et vous n’êtes plus maître de votre vie. Mais même si vous n’avez plus rien, vous n’êtes pas rien. C’est aussi un message de déstigmatisation : ce n’est pas parce que on est à l’aide sociale que l’on a moins de valeur, qu’on ne peut pas avoir sa place et apporter sa pierre à l’édifice de la société.

Arber Hajdari
Arber Hajdari et Sahil
le tournage
De gauche à droite : Dardan Shabani, comédien, et Sahil
le tournage au centre de Rigot
De droite à gauche : Arber Hajdari et son épouse
Arber Hajdari