Retour 8 avr. 2020

La magnifique aventure inachevée de l'opéra «Voyage vers l’Espoir»

VOYAGE  VERS L’ESPOIR … un titre porteur de rêves. Celui, notamment, qu’étaient prêts à vivre quinze requérants d’asile et réfugiés bénéficiaires de l’Hospice général.

Voyage vers l’Espoir est d’abord une création mondiale que le Grand Théâtre de Genève s’apprêtait à montrer au début du printemps. Cet opéra est inspiré du film éponyme réalisé par le cinéaste suisse Xavier Koller, Oscar 1991 du meilleur film en langue étrangère. L’histoire, basée sur un fait réel, est celle d’une famille kurde qui décide de quitter son pays  pour tenter sa chance en Suisse. S’ensuit une trajectoire semée d’embûches ô combien familières de nos usagers. Malheureusement, la traversée des Alpes en pleine tempête de neige se soldera par le décès du jeune fils.

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Pour la nouvelle direction du Grand Théâtre, il est essentiel d’ouvrir le théâtre sur la Cité. Sa première programmation est d’ailleurs intimement liée aux thématiques qui caractérisent l’histoire de Genève. Dès lors, quoi de plus naturel que de faire appel à des migrants pour figurer dans une œuvre dont le fil conducteur est l’exil ?

L’Hospice général a été contacté, par l’intermédiaire de l’association Antidote, afin de participer au projet. Dans un premier temps, il fut question d’identifier des migrants pouvant être intéressés par cette expérience unique en son genre. Il s’agissait notamment de leur fournir une explication détaillée des tenants et aboutissants de l’œuvre, au récit proche de celui qui aurait pu être le leur. Puis de les introduire, du moins théoriquement, au processus de répétition. Tous ont répondu présent avec enthousiasme. 

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Lors d’une série d’ateliers organisés en amont des répétitions, les figurants ont eu l’occasion de se frotter à différents outils d’expression visant notamment la prise de confiance en soi, l’épanouissement de leur potentiel et l’initiation au storytelling. Ils ont été surprenants, touchants, solidaires, courageux et captivants.

Aujourd’hui, alors que l’occasion leur avait été donnée de fouler la scène pour la première fois et lors de six représentations, les figurants doivent renoncer à leur rêve, pour les raisons sanitaires que nous connaissons tous. Mais l’expérience, même écourtée, leur aura permis de signer leur premier contrat de travail en Suisse, voire de leur vie pour quelques-uns d’entre eux. Des amitiés seront nées, des personnalités se seront révélées et leur faculté d’adaptation exceptionnelle aura pu se manifester.

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Interrogée sur cette expérience Clara Pons, dramaturge du Grand Théâtre et responsable de mettre en œuvre la politique d’ouverture de celui-ci, a du mal à trouver ses mots « Pour une fois à l’opéra, il n’y a pas à inventer des sentiments, ils sont là. Cette expérience a été extraordinaire d’authenticité ». Les superlatifs ne manquent pas dans sa bouche. Pour elle, ces figurants ont investi le projet de manière exceptionnelle. Leur reconnaissance d’avoir été engagés s’est manifestée de façon impressionnante, de même que leur volonté d’apprendre et d’être au mieux d’eux-mêmes. Ils sont sortis de leur zone de confort pour se confronter aux regards des autres. Pour Clara Pons, les figurants ont, de par leur présence et leur énergie positive, tiré les répétitions vers le haut, vers quelque chose de plus léger qu’à l’ordinaire au théâtre, et en même temps d’essentiel. « Tout le projet a attrapé une raison d’être, une légitimité même ». L’intégration du groupe s’est faite de manière naturelle car il y a eu une forme d’égalité dans le partage même de l’espace scénique.

Cette belle expérience, nous espérons tous qu’elle se reproduira, avec d’autres bénéficiaires, ou les mêmes, sur une scène de théâtre ou sous une autre forme. Et en ces temps particuliers, les interrogations de Clara nous interpellent : « La lumière dans leurs yeux, le défi positif que les figurants se sont lancés, cette envie d’être là, font réfléchir. Où est cette énergie, cette envie ? Serais-je capable de laisser mes préjugés dehors, sans savoir où je vais et faire tout simplement confiance aux autres ? ». 

A défaut d’un spectacle, une belle méditation nous est offerte !
 

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