Retour 10 nov. 2025

De requérant d’asile à premier citoyen genevois. Sur les pas d’Ahmed Jama

C’est un voyage dans ses souvenirs qu’Ahmed Jama a entrepris en revenant au centre d’hébergement collectif (CHC) de Presinge. Arrivé en Suisse en 1997 en tant que requérant d’asile, ce jeune quarantenaire est, depuis juin 2025, président du Conseil municipal de la Ville de Genève. Il retrace pour nous le chemin parcouru.

Le point de départ

Des trombes d’eau s’abattent du ciel lorsqu’Ahmed Jama pénètre dans le foyer qui symbolise pour lui « le point de départ dans ce pays » dont il détient désormais la nationalité. Il n’aura d’ailleurs de cesse de le répéter tout au long de la visite. L’homme, d’origine somalienne, y a résidé de 1997 à 1998 avec sa famille.
« C’est la troisième fois que je reviens en presque 30 ans. D’abord, pour montrer à ma femme où tout a commencé. Et ensuite avec mes deux plus grands enfants. Ils ont adoré l’endroit et m’ont demandé si j’avais fait de l’équitation en voyant les chevaux dans les champs avoisinants. Je leur ai répondu que je me contentais de les regarder ».

 

En visitant le centre de Presinge où il a vécu de 1997 à 1998, Ahmed entreprend un voyage dans ses souvenirs.
En visitant le centre de Presinge où il a vécu à la fin des années 1990, Ahmed entreprend un voyage dans ses souvenirs.


L’injustice comme moteur

Lorsqu’il pose ses valises à Genève, Ahmed est un adolescent de 13 ans, l’âge de sa fille aînée aujourd’hui.
« J’ai d’abord intégré une classe d’accueil au cycle d’orientation de la Florence. » Pour se rendre à l’école, l’adolescent prend alors le bus C qui ne passe qu’une fois par heure. « Ce soir, j’ai pris la ligne 37 qui passe un peu plus souvent » sourit-il. « Je suis descendu un arrêt avant, à Presinge-village, pour voir l’endroit où on jouait enfants. » Il poursuit : « Ça a été une période difficile mais formatrice. J’ai vécu des injustices qui ont déclenché une forme de rage à l’origine de mon engagement en politique. » Il fait notamment allusion à un épisode marquant : l’impossibilité de traverser la frontière pour participer à un camp de ski en France en raison de son permis F. « Le plus dur, c’est que mes camarades concernés (ndlr : des Somaliens et un Indien) et moi, on avait eu le temps de se réjouir et, quatre jours avant, on nous a annoncé que non seulement on ne pourrait pas skier avec le reste de la classe mais qu’on devrait quand même aller à l’école cette semaine-là. » Le soutien de Christiane, assistante sociale du lieu, l'aide alors à se remettre de cette déception. Il chaussera des skis pour la première fois dix ans plus tard en Valais. « Je n’ai pas vraiment apprécié l’expérience. Aujourd’hui, quand je vais à la montagne, je reste au chalet. » s’exclame-t-il, un sourire en coin.

 

Ahmed Jama visite la chambre dans laquelle il a été hébergé entre 1997 et 1998. Elle accueille aujourd'hui une mère et son fils d'origine ukrainienne.
Ahmed visite la chambre dans laquelle il a été hébergé avec ses frères entre 1997 et 1998. Elle accueille aujourd'hui une mère et son fils d'origine ukrainienne.


Revendiquer une voix

S’il n’est pas féru de sports d’hiver, Ahmed Jama est pourtant bien suisse. Naturalisé en 2005, il occupe depuis 2007 un poste d’officier d’état civil aux Eaux-Vives : « J’enregistre tous les grands jalons de l’existence : naissances, mariages, décès. Mon travail me place au cœur de la vie des gens. » Cette envie d’accompagner ses concitoyennes et concitoyens, il la poursuit en s’engageant en politique dès 2006 avec le parti socialiste. « L’exil vous apprend à vous taire. Depuis mon adolescence, j’ai toujours questionné le système. La politique me permet de revendiquer une voix pour moi mais surtout pour celles et ceux qui n’en ont pas. » Chef de groupe, président de commission puis du Conseil municipal, Ahmed gravit rapidement les échelons, non sans persévérance.

 

Il brandit son permis N
Il brandit son permis F.


Le poids de la représentativité

Un poids pas toujours facile à porter sur ses épaules : « C’est une grosse pression de tracer la voie. Mais en tant qu’homme noir et parent d’enfants racisés, oser prendre sa place et s’engager dans une cause sont des héritages que je souhaite leur transmettre. » Interrogé sur l’élection de Musa Kamenica, ex-requérant d’asile d’origine albanaise, à la présidence du Conseil communal de Lausanne, le politicien se réjouit : « Le cercle des premières fois est en train de se casser. C’est le signe que les temps changent et que la population commence à trouver normal de voir des personnes avec des noms différents à ce type de poste. Ce n’est pas simple mais il faut continuer malgré les obstacles qui se trouvent sur le chemin. »

 

Lors de la discussion avec des résident-es du centre d'hébergement de Presinge
Lors de la discussion avec des résident-es du centre d'hébergement de Presinge


Tout est possible

C’est cette persévérance et l’envie de se créer un avenir en Suisse qu’Ahmed Jama a mis en avant en s’adressant aux résidentes et résidents du centre d’hébergement de Presinge : « L’exil ne doit pas être un point final mais une nouvelle étape. Il ne faut pas perdre espoir. Gardez courage et restez entourés, faites entendre votre voix ! » Avant de conclure : « quand j’ai reçu l’invitation de Iulia (ndlr : travailleuse sociale à Presinge), j’y ai vu un signe ; je me suis dit que les choses n’arrivaient pas par hasard. J’avais besoin de revenir à la source car, depuis que j’occupe cette nouvelle fonction au Conseil municipal, j’ai réalisé le chemin parcouru. » Une manière de montrer que tout est possible.

Photos : David Wagnières

Ahmed Jama en pleine conversation avec un officiel de la commune de Presinge
Ahmed et un jeune résident de Presinge, lui aussi d'origine somalienne
Dans une chambre du CHC de Presinge