Retour 28 nov. 2023

Les dispositifs d’aide alimentaire, véritable baromètre de la société

Dans le cadre d’un Certificate of Advanced Studies (CAS) en politiques sociales qu’elle a suivi à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Lucia Rosales Deshusses a consacré son travail de fin d’étude aux dispositifs d’aide alimentaire à Genève en les mettant en perspective avec le droit à l’alimentation, les politiques sociales, le marché du travail et le rôle des acteurs associatifs et étatiques. Petit tour d’horizon de la question.

Qu’est-ce qui t’a amenée à choisir le sujet des dispositifs d’aide alimentaire à Genève ?
Lors de mes études à l’Institut d’études du développement (IUED), je m’étais intéressée au concept des restaurants gratuits à Genève. Ensuite, des collaborateurs et collaboratrices du CAS de Vernier, dont j’ai été une des responsables d’unité de 2019 à 2023, ont participé aux distributions alimentaires organisées à Vernier pendant la pandémie. En choisissant ce sujet, c’était donc une façon de continuer à réfléchir à cette thématique.

Quels sont les éléments qui t’ont surprise au cours de ton travail ?
C’est l’absence partielle de chiffres et la difficulté d’établir le profil des personnes qui font recours à l’aide alimentaire. J’ai dû éplucher de nombreux rapports annuels pour construire les tableaux que je présente à la fin de mon travail et qui représentent l’ampleur du phénomène. Cela a été un véritable casse-tête pour disposer des statistiques fiables et identifier le public bénéficiaire.

Quelles sont les questions que soulève l’existence même de dispositifs d’aide alimentaire dans une ville aussi riche que Genève ?
Cela questionne beaucoup de choses : le droit à l’aide sociale, qui n’est pas universel, les limites du dispositif actuel d’aide sociale, mais aussi le fonctionnement du marché du travail et l’exclusion d’une partie de la population, notamment les personnes en situation administrative irrégulière. Enfin, cela interroge la question du respect de la dignité de tout un chacun. Ainsi que je l’écris dans mon travail, « Comme dans l’ensemble de la population, les personnes vulnérables doivent pouvoir choisir leurs aliments. La distribution de colis ne le permet pas. » En distribuant des produits en nature plutôt que des bons ou de l’argent, la société, par le truchement des associations, exerce de manière involontaire une certaine forme de contrôle social. Cela est donc un questionnement plus large sur le projet de société que nous voulons défendre. Celui des droits ou celui de la charité ?

Quels sont les différents leviers pour améliorer la situation des bénéficiaires de l’aide alimentaire ? 
La LASLP en est un, puisque la Loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité prévoit un renforcement de l’accompagnement social, met l’accent sur la formation et prend en compte les problématiques du logement et de l’endettement. La lutte contre le non-recours, notamment pour les personnes qui sont au bénéfice d’un permis de séjour, en est un autre.

Y a-t-il des leçons à tirer de ce qui s’est passé pendant la pandémie avec les files de personnes qui venaient pour recevoir un cabas ?
Je crois que cela a incité les différents acteurs sociaux à travailler davantage en réseau. La présence de l’Hg aux distributions en est un exemple. Enfin, cela a débouché en juin 2023 sur l’acceptation par le peuple de l’inscription du droit à l’alimentation dans la Constitution genevoise. C’est une première en Suisse. Reste à voir comment ce droit sera mis en œuvre.

Propos recueillis le 3 novembre 2023
 

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